La Grande Guerre

Quand les soldats n'en veulent plus

Du côté français

  • Les premières mutineries

Dès septembre 1915, après l'échec de l'offensive de Champagne, les soldats comprennent que la guerre va durer et que de nombreux hommes vont mourir. Dès lors, des actes d'indiscipline apparaissent sous différentes formes : retard à revenir de permissions, désertions, automutilations, fraternisations. La forme la plus simple d'opposition à la poursuite de la guerre est de se laisser faire prisonnier. En plus de ces actes souvent individuels, il faut noter les refus collectifs des soldats d'obéir aux ordres. Ce sont les premières mutineries. C'est ainsi que le 14 mai 1916, dans le secteur de Verdun, le 140e régiment d'infanterie est rappelé sur le front qu'il vient à peine de quitter. Une partie des soldats refusent d'y retourner et se cachent lors de l'appel. Quinze hommes sont arrêtés. Tous les officiers et sous-officiers du régiment sont punis de huit jours d'arrêt. Un soldat est condamné à mort et exécuté. Le 30 avril 1916, les soldats de la 2e compagnie du 96e régiment d'infanterie refusent de remonter sur le front des Chemins des Dames. Quatre soldats sont condamnés et exécutés le 23 mai 1916 à Roucy. Malgré tout, ces mutineries sont rares et rapidement étouffées. Ainsi, l'armée française dénombre 509 condamnations pour refus d'obéissance en 1914, 2 433 en 1915, et 8 924 en 1916.

  • Le massacre de trop

En décembre 1916, le général Nivelle prend le commandement des armées françaises en lieu et place du général Joffre. Aussitôt, il promet la victoire pour 1917. Pour y parvenir, il veut mener une attaque entre Soissons et Reims et enfoncer les lignes allemandes en deux ou trois jours. Pour Nivelle, cette percée doit être suffisante pour déstabiliser l'ensemble de l'organisation allemande et pousser les troupes allemandes à retraiter. Son plan n'est pas franchement soutenu par le gouvernement français et encore moins par le contingent britannique présent en France. Son insistance finit par porter ses fruits. Et malgré l'état de fatigue des soldats qui vivent dans les tranchées depuis trois ans, malgré la perte de moral de toutes les troupes, la bataille du Chemin des Dames aura bien lieu. Rassembler 60 divisions et 1 700 pièces d'artillerie ne peut passer inaperçu. Les Allemands comprennent rapidement qu'une attaque française est en préparation du côté de Soissons. Aussi, ils renforcent leurs positions, en ajoutant des tonnes de barbelés et de nouvelles mitrailleuses, et creusent de nouveaux abris bétonnés. En plus du manque de discrétion des préparatifs, le 13 avril 1917, des soldats allemands trouvent les plans de l'offensive française sur le cadavre d'un sergent-major français qui a été tué lors d'une embuscade.

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Le 16 avril 1917, le général Nivelle lance sa grande offensive malgré le fait qu'il soit au courant que les Allemands connaissent tout de ses plans. À 6 heures du matin, malgré la pluie et la brume qui empêchent l'artillerie de jouer son rôle correctement, les soldats français se lancent à l'assaut des lignes allemandes sur le Chemin des Dames. Les barbelés, souvent intacts, ralentissent la progression des soldats français qui sont fauchés par les mitrailleuses allemandes. À la fin de la journée, les Français ont avancé d'à peine 500 mètres. Le 17 avril 1917, Nivelle ordonne un nouvel assaut des troupes, accompagné par des chars qui s'embourbent sur un terrain détrempé. Ce second assaut se solde par un nouvel échec. Le général Nivelle s'entête et relance de nouveaux assauts jusqu'au 25 avril 1917. Entre le 16 et le 25 avril 1917, les Français dénombrent 40 000 morts et 100 000 blessés.

  • Les grandes mutineries

Dès le 17 avril 1917, plusieurs soldats refusent de sortir des tranchées lorsque l'ordre de l'assaut est donné. Ils ne veulent plus servir de chair à canon. Ils ne veulent plus mourir pour rien. Mais, c'est à l'arrière que les troubles sont les plus forts : le drapeau rouge est arboré, L'Internationale est chantée, on crie "À bas la guerre", on dessine des graffitis pacifistes sur les wagons des trains et sur les murs. Le vin aidant, l'indiscipline se propage et certains officiers n'en mènent pas large. Ces troubles s'étendent rapidement de régiment en régiment, de l'Aisne à la Marne, des Vosges à la Meuse, et dans bien d'autres régions de France. Au total, 82 divisions sur les 110 divisions de l'armée française sont touchées par des mutineries de plus ou moins grande ampleur. L'État-major français reconnaît 139 actes collectifs d'indiscipline impliquant entre 40 000 et 88 000 soldats. Beaucoup de mutins sont des soldats aguerris qui ont déjà prouvé leur valeur au combat. Aucun d'entre eux n'ose contester ouvertement les ordres militaires donnés, ce qui peut conduire au peloton d'exécution. Le plus souvent, les mutins refusent de monter à l'assaut mais acceptent de garder leurs positions. Dans l'esprit de ces mutins, les mutineries ne sont pas une révolution. Ils souhaitent juste un commandement plus soucieux de la vie des soldats, des stratégies militaires plus adaptées à la guerre moderne et des permissions plus nombreuses.

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  • L'arrivée du général Pétain

Le 15 mai 1917, le général Pétain succède au général Nivelle. Afin de calmer les mutins, il se rend sur le front pour parler aux soldats. De là, il prend rapidement une série de mesures très populaires améliorant le quotidien des soldats. Parmi ses mesures, les plus appréciées sont relatives aux cantonnements, à la nourriture et aux permissions. En plus de ces mesures, le général Pétain adopte une nouvelle stratégie militaire. Les objectifs militaires seront désormais réalistes et économes en vies humaines. De plus, il veut attendre l'arrivée des troupes américaines et des chars. Toutefois, le pic d'intensité des refus collectifs d'obéissance se situe entre le 20 mai et le 10 juin 1917, soit après sa nomination. Devant ces mutineries qu'il ne peut tolérer, le général Pétain rétablit les Conseils de guerre spéciaux et établit un décret, approuvé le 08 juin 1917, qui supprime toute voie de recours pour les militaires reconnus coupables de « rébellion, insubordination et embauchage de militaires ». Du coup, les jugements et les sanctions tombent plus vite. La crise liée aux mutineries s'atténue ainsi rapidement avec 3 500 condamnations, dont 1 381 condamnations aux travaux forcés et 554 condamnations à mort dont 49 sont effectives. Les autres condamnés à mort sont graciés par le président de la République, Raymond Poincaré.

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  • Le bilan des mutineries de 1917

La plupart des mutineries, qui atteignent leur paroxysme entre mai et juin, sont suivies de rapports rédigés par les officiers ou les sous-officiers responsables. C'est sur base de ces rapports qu'un tableau des principales mutineries françaises de 1917 est établi.

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Sur l'exploitation des données enregistrées sur les mutins condamnés par le tribunal militaire, il faut noter que 62% des condamnées n'ont aucun casier judiciaire, 15% ont déjà eu des condamnations civiles et 12 % ont déjà eu des condamnations militaires. D'autres informations peuvent aider à comprendre les actes des mutins : l'âge moyen des mutins est de 25 ans, 22% des mutins sont mariés et 52% des mutins sont urbains.

Du côté allemand

  • L'influence bolchévique

L'armée allemande doit également faire face à des mutineries. Mais celles-ci ne débutent qu'en 1917 lorsque les troupes allemandes du front russe reçoivent l'ordre de rejoindre le front Ouest suite à la révolution bolchévique d'octobre 1917. Parmi ces troupes, certains soldats se sont imprégnés des idées bolchéviques au contact de prisonniers russes ou de civils russes dont ils occupent les villes. Aussi, lorsque l'ordre est donné du transfert vers le front Ouest, environ 10% des soldats allemands stationnés sur le front russe n'hésitent pas à déserter ou à se cacher en Russie.

  • La crise de 1918

Au printemps 1918, les échecs des offensives allemandes mènent à une grève militaire qui se traduit par des désobéissances aux ordres, des mutilations volontaires et des sabotages d'équipements.

Du côté britannique

  • Le camp d'Étaples

L'armée britannique connaît une seule mutinerie dans le camp d'Étaples en 1917. Elle implique environ 1 000 soldats et ne dure que quelques jours. Rapidement, l'État-major sanctionne lourdement les mutins et un sous-officier est fusillé pour son rôle dans la mutinerie. C'est l'un des trois soldats britanniques passés par les armes pour mutinerie sur le front de l'Ouest pendant toute la durée de la guerre. Au total, l'armée britannique dénombre 2 600 actes d'indiscipline qui vont de l'assoupissement au poste de garde (2 soldats), de l'abandon de poste (7 soldats), de la désobéissance aux ordres (5 soldats), de la lâcheté (18 soldats) jusqu'à la désertion (266 soldats et 2 officiers).


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